Maillechort, argent, or? La question du matériau

(Dernière modification le 15/06/2019)

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 Les flûtistes ont-ils perdu la raison?

 

On a expérimenté divers matériaux bien avant l’avènement de la flûte Böhm. On utilisait ainsi au temps de la flûte baroque différentes essences de bois - comme le buis, le palissandre ou l’ébène - et on trouve même quelques rares exemplaires en ivoire et en cristal.

 

Pour ce qui est des flûtes en métal, le maillechort et l’argent s’imposèrent rapidement. (Au demeurant, le passage à la flûte Böhm et le changement du bois au métal a mis longtemps à s’effectuer. On jouait par exemple encore au début du XXe siècle à l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig des flûtes en bois à perce conique à quelques clés, et près d’un demi-siècle plus tard, en 1948, quand Aurèle Nicolet pris ses fonctions au poste de 1ère flûte de l’Orchestre Philharmonique de Berlin, ses collègues jouaient encore des flûtes Böhm en bois. Depuis les années 2000 d’ailleurs, les flûtes en bois redeviennent un peu à la mode.)

 

Pour en revenir aux flûtes en métal, il faut dire qu’on fabrique depuis longtemps des flûtes “en or”. La première, à ma connaissance, en alliage 18 carats, fut l'œuvre de Louis Lot en 1869. On peut d’ailleurs supposer que, si les commanditaires ce sont adressés alors au plus célèbre et peut-être meilleur facteur de flûtes de l’époque, ils ont sans doute plus tenu à la valeur de l’objet de par la préciosité de son matériau qu’à obtenir un instrument de musique aux qualités acoustiques exceptionnelles, puisque ce ne devait être qu’un cadeau offert à un riche amateur. Quoiqu’il en soit, cette flûte resta longtemps le seul exemplaire de cette sorte et elle tomba même dans l'oubli jusqu'à son acquisition par Jean-Pierre Rampal en 1948. (L’antiquaire à qui il la racheta, n’ayant aucune idée de la valeur historique sinon musicale de cet instrument, comptait d’ailleurs la faire fondre pour récupérer le précieux métal!) Il y eut donc pendant un long temps un unique exemplaire, et même ensuite, de tels instruments restèrent tout à fait exceptionnels.

 

Depuis le début de l'ère des flûtes en métal et jusqu'au milieu du XXe siècle en effet, même les meilleurs et les plus exigeants flûtistes se contentaient d'instruments en argent, voire en maillechort. Tandis qu’aujourd'hui quasiment tous les solistes, la grande majorité des musiciens d'orchestre, de très nombreux professeurs et une part non négligeable de leurs étudiants jouent des flûtes en or. Beaucoup d'ailleurs pensent réellement en avoir besoin... Je connais même des amateurs qui possèdent des flûtes en 14 carats.

 

Et puisque l’Homme refuse généralement de reconnaître les limites qui devraient lui être imposées par la Raison, on devait bien un jour en arriver là: La mode depuis quelques années en est aux flûtes en or 24 carats. (La mécanique n'étant pour le moment disponible au maximum qu'en 18 carats.) Plusieurs fabricants proposent ainsi des modèles autour de 100.000 euros...

Fétichisme ou apport réel au service de la musique?

 

Les musiciens, quand ils jouent, sont souvent trompés par leurs sens, et il est très difficile - Est-ce seulement possible ? - d'appréhender objectivement sa propre sonorité. De nombreux facteurs aussi bien intérieurs qu’extérieurs - l’acoustique du lieu, la sensation du poids de l'instrument, la température, la manière dont les vibrations sont transmises du tube dans les mains, notre état psychique et physique du moment - peuvent ainsi influencer considérablement la perception que nous avons de notre propre son. A quoi s’ajoutent les a priori et le fétichisme liés aux métaux précieux.

 

Ainsi un flûtiste comparant des flûtes en différents alliages sera la plupart du temps convaincu que celles en un métal plus dense ont un son plus riche ou une meilleure projection. Mais aussi sincèrement qu'il le croie, cela ne veut pas dire qu'un auditeur, même musicien ou flûtiste, pourra effectivement percevoir une différence, et encore moins que cette éventuelle différence soit due à la différence de matériau. Il faudrait pour pouvoir éclaircir ce point avoir des flûtes en différents alliages mais autrement exactement identiques, jouées par le même flûtiste dans les mêmes conditions - conditions quasiment impossibles à réunir.

 

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Depuis le milieu du XXe siècle, le nombre des alliages proposés s’est accru considérablement... jusqu’à l’absurde. Le maillechort n’est plus utilisé aujourd’hui que pour des instruments de débutants ou intermédiaires. L’argent 900/1000e, souvent utilisé jusqu’il y a quelques décénnies, est tombé en désuétude, mais on utilise par contre des alliages 925, 950, 970, 990, 997 et 998/1000e, plus quelques alliages spéciaux. A cela s’ajoutent quelques alliages argent-or (à 5 ou 15 % d’or par exemple), puis viennent les alliages d’or: depuis longtemps 8, 9, 14 ou 18 carats, plus récemment 5, 10 et 19,5 carats, et même 22 et jusqu’à 24 carats. Il faut compter aussi pour les alliages d'or les variations en or blanc, rose ou jaune. Et viennent encore le platine et quelques métaux plus rarement utilisés, comme le palladium... Une chatte n’y retrouverait plus ses petits.

Maillechort, argent, or, platine? L'importance du matériau pour les flûtes traversières.
Flûtes en maillechort argenté, argent, argent plaqué-platine, or 9, 14 et 24 carats, et platine.

Je proposais ici un lien vers une très intéressante étude, menée par Renate Linortner à l'université de Vienne (Universität für Musik und darstellende Kunst Wien, Institut für Wiener Klangstil) sur l'influence du matériau sur les qualités acoustiques d'une flûte. Cette étude n'est malheureusement plus directement accessible en ligne. Vous trouverez ci-dessous une version abregée à télécharger (en allemand).

 

Pour la version complète - disponible en allemand et en anglais -  vous pouvez contacter l'Université de Vienne: Universität für Musik und darstellende Kunst Wien, Institut für Wiener Klangstil.

Silber, Gold, Platin - Materialaspekt bei Querflöten, Diplomarbeit von Renate Linortner, Kurzfassung
Studie zur Frage der Materie.docx
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Encore 2 petites anecdotes...

 

Un célèbre facteur de flûtes (lui-même flûtiste - ce qui, bizarrement, n’est pas une évidence - et qui a débuté sa carrière en jouant dans des orchestres de premier plan), dont les têtes sont jouées dans le monde entier par de très nombreux flûtistes parmi les meilleurs, me disait jouer lui-même, avec une tête en or de sa fabrication certes, une flûte en maillechort... (Et ce n’est pas l’argent qui lui manquerait pour s’acheter des flûtes en or.)

 

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Un des meilleurs et des plus célèbres flûtistes du XXe siècle, ex-flûte-solo de l'Orchestre Philharmonique de Berlin, participa un jour à l'expérience suivante: Dans les locaux d'un des plus grands fabricants japonais, il essaya tous les modèles devant les employés, qui ne savaient pas dans quel ordre il les jouait. Ces derniers désignèrent l'instrument qu’ils jugeaient être le meilleur. La majorité élut la flûte la moins chère de leur gamme: une flûte en maillechort avec tête en argent.

 

A méditer...